On vous parle de papiers où le bois n’est pas roi !

October 13, 2020

Aujourd’hui, on vous partage quelques papiers qui nous ont semblé innovants autant par leur process de fabrication que par leur esthétique et leur sensualité, car éco-concevoir ne signifie pas tout imprimer sur du papier sans caractère...

Le papier de bois est en réalité assez récent. Nos ancêtres ont écrit dans la pierre, l’os, le bois, l’argile, puis sur des supports plus légers telles que des peaux de bête (parchemin). Le premier papier végétal, c’est le papyrus, fait à base de roseaux. Plus tard en Chine, on conçoit une pâte à papier fabriquée à base de vieux chiffons, de bambou, d’écorces de mûrier, de lin ou de chanvre. Au milieu du XIXe en Europe, face à la flambée du prix des chiffons, les papetiers cherchent des alternatives et se tournent vers le bois dont le rendement en cellulose* est particulièrement élevé.

*La cellulose est une matière organique renouvelable synthétisée essentiellement par les végétaux. Cette molécule est hydrophile et donc très absorbante, et à la fois très résistante mécaniquement et chimiquement.

Vous l’aurez compris, le papier sans bois ce n’est pas nouveau. Pourquoi ça nous intéresse ? Car au delà du papier bois recyclé, dont la qualité ne cesse de s’améliorer, on s’est demandé quelles étaient les innovations actuelles (ou le renouveau de techniques anciennes) en matière de papier.

Au menu : écorces de citrons siciliens, café, algues du lagon de Venise, bagasse, herbe, blé, chanvre, cuir, laine, coton, chiffons, pierre et j’en passe !

Après pas mal de recherches, on vous présente une sélection de papiers qui présentent une alternative originale et créative tout en ayant un process de fabrication qui réduit l’utilisation de ressources en comparaison à la production classique de papier (matières premières, utilisation d’eau, d’électricité, etc.).

Valoriser des déchets pour faire du papier c’est intéressant, certes. Mais au-delà de la matière première utilisée, le process de fabrication est tout aussi important pour limiter l’impact environnemental global de la production du papier. Beaucoup de papiers se disent “écologiques”. Mais à y regarder de plus près, tous ne s’inscrivent pas dans une démarche d’éco-conception globale. Il va de soi que l’utilisation de tels papiers dits “éco-conçus” n’aurait plus de sens en y appliquant des encres et des procédés d’impression particulièrement néfastes (encres métallisées, plastification, etc.).

On vous partage notre avis et notre ressenti à la manipulation de ces papiers mais on vous propose aussi et surtout une grille de lecture : Fabriqué où ? A partir de quoi ? Avec quels procédés ? Quelles certifications ? Compatible avec quel type d’impression et de finitions ? Quelle fin de vie ? Pour cela, nous avons épluché les fiches techniques et interrogé les fabricants. Malheureusement, nous n’avons pas obtenu toutes les réponses à chaque fois mais nous vous partageons tout de même ce dont nous disposons.

Cette liste n’est pas exhaustive, et on espère bien l’alimenter au fur et à mesure des trouvailles et des suggestions.

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FAVINI (Italie)

Depuis 1992, le fabricant italien Favini ne cesse d’innover et s’intéresse à la réutilisation de différentes ressources pour concevoir du papier : résidus de fruits, algues, chutes de cuir, de textile… Favini concrétise ses recherches au travers de 4 gammes de papiers qui s’inscrivent dans une démarche d’upcycling, c’est-à-dire, de valorisation de déchets divers : Shiro (algues), Crush (fruits), Remake (cuir) et Refit (laine/coton).

On a été bluffé autant par la qualité des papiers que par la rigueur de la démarche d’éco-conception chez Favini, qui est bien documentée pour chaque papier (empreinte carbone, labels, certifications, etc.).

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SHIRO TREE FREE : un papier 100% sans bois (Favini / Italie)

  • Fabriqué à partir de quoi ? Un papier entièrement fabriqué à partir du résidu fibreux de plusieurs plantes annuelles comme le bambou, le coton et la canne à sucre (bagasse).
  • Quel process de fabrication ? Y’a-t-il une réduction d'empreinte écologique ? 100% de l’énergie utilisée pour fabriquer ce papier est renouvelable (EKOenergy). Compensation des émissions CO2 en Carbon Credits.
  • A-t-il des certifications ? Etant donné qu’il n’y a pas de bois, il n’y a pas de certification FSC. Acid-free, tree-free.
  • Prévu pour quel type d’impression / finitions ? Offset, laser, jet d’encre. Gaufrage, frappe à chaud, perforation, découpe, pliage, rainage, pelliculage, vernis.
  • Préconisation fin de vie : Recyclable, biodégradable.

Notre avis : Shiro treefree est le plus discret de la gamme et ressemble à un papier bois blanc de qualité, permettant une très vaste application. Il permettrait aisément de contrebalancer au sein d’une édition, la force de caractère d’un papier comme Crush, Refit ou Remake.

Plus d’informations et fiche technique sur Shiro Treefree

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REMAKE : revaloriser les chutes de cuir (Favini / Italie)

  • Fabriqué à partir de quoi ? Un papier élaboré à partir de 25% de chutes de cuir industrielles, 40% de fibre de bois recyclée certifiée FSC et 35% de fibre vierge certifiée FSC.
  • Quel process de fabrication ? Y’a-t-il une réduction d'empreinte écologique ? Au total 65% de la matière première sont des déchets post-consommation. 100% de l’énergie utilisée pour fabriquer ce papier est renouvelable (EKOenergy). Compensation des émissions CO2 en Carbon Credits.
  • A-t-il des certifications ? FSC, Acid-free, Chlorine free, Carbon black free.
  • Prévu pour quel type d’impression / finitions ? Offset, laser, litho, sérigraphie. Frappe à chaud, embossage, perforation, découpe, pliage, rainage, pelliculage, vernis... Non compatible HP Indigo.
  • Préconisation fin de vie : Recyclable, biodégradable.

Notre avis : Remake existe en version “naturelle” et en version “embossée” Carapace. Dans les deux cas, de micros résidus de cuir restent visibles à la surface, ce qui en fait un papier tactile étonnant. Cet effet n’est que plus accentué dans la version Carapace, avec un embossage asymétrique, comme aléatoire, qui peut évoquer la texture d’une peau, du béton, du granit…

Plus d’informations et fiche technique sur Remake.

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REFIT WOOL : le papier laine (Favini / Italie)

  • Fabriqué à partir de quoi ? Un papier élaboré à partir de 15% de fibres de laine tracée, issue de l’industrie textile italienne, 25% de fibre de bois recyclée certifiée FSC.
  • Quel process de fabrication ? Y’a-t-il une réduction d'empreinte écologique ? Au total 40% de la matière première sont des déchets post-consommation. 100% de l’énergie utilisée pour fabriquer ce papier est renouvelable (EKOenergy).
  • A-t-il des certifications ? FSC, Acid-free, Chlorine free, Carbon black free.
  • Prévu pour quel type d’impression / finitions ? Sérigraphie, frappe à chaud, gaufrage.
  • Préconisation fin de vie : Recyclable, biodégradable.

Notre avis : Dans Refit Wool, la laine est omniprésente : les fibres sont visibles, brillantes et tactiles. Ce papier ne peut pas laisser indifférent. Les possibilités d’impression sont limitées et en font un papier clairement destiné à l’impression d’un projet en petite série haut de gamme.

Plus d’informations et fiche technique sur Refit

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CRUSH : utiliser des résidus de fruits (Favini / Italie)

  • Fabriqué à partir de quoi ? Citrons, raisin, cerises, lavande, maïs, olives, café, kiwi, noix, amandes… autant de résidus organiques qui composent cette gamme de papier. 15% de la cellulose est remplacée par ces résidus organiques et 40% de fibre recyclée compose ce papier.
  • Quel process de fabrication ?Y’a-t-il une réduction d'empreinte écologique ? En revalorisant des déchets industriels organiques et en utilisant 100% d’énergie renouvelable (EKOenergy), Favini réduit de 20% son bilan carbone comparé à une fabrication classique de papier aux caractéristiques équivalents.
  • A-t-il des certifications ? FSC recyclé / OGM-free / EKOenergy.
  • Prévu pour quel type d’impression / finitions ? Offset, laser, jet d’encre. Gaufrage, frappe à chaud, perforation, découpe, pliage, rainage, pelliculage, vernis. Non compatible sur HP Indigo.
  • Préconisation fin de vie : Recyclable, compostable, biodégradable

Notre avis : Au visuel, un papier qui semble très texturé par des micro-tâches issues des résidus, pour finalement s’avérer lisse au toucher. Effet très mat.

Plus d’informations sur CRUSH et fiche technique

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GMUND (Allemagne)

L’entreprise Gmund à Tegernsee en Allemagne a développé la gamme Bio Cycle. Le papier y est composé de plantes annuelles comme la paille de blé, l’herbe, le coton, le chanvre, mélangé à du papier recyclé FSC. La particularité : sans agents chimique, ces papiers sont compostables.

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CHLOROPHYLL : les pâturages à la page (Gmund / Allemagne)

  • Fabriqué à partir de quoi ? Un papier élaboré à partir de 50% d’herbe coupées provenant des pâturages de Haute-Bavière, récoltées et séchées avec soin pour obtenir une longue structure fibreuse. Complété par 50% de papier recyclé certifié FSC.
  • Quel process de fabrication? Y’a-t-il une réduction d'empreinte écologique ? Nous n’avons pas obtenu d’informations à ce sujet.
  • Comment le papier est-il pigmenté ? A la coloration naturelle de l’herbe est ajoutée de la chlorophylle pure.
  • A-t-il des certifications ? FSC recyclé, Acid-free.
  • Prévu pour quel type d’impression / finitions ? Offset, jet d’encre, letterpress, sérigraphie, gaufrage, frappe à chaud, découpe.
  • Préconisation fin de vie : Recyclable, biodégradable, compostable.

Notre avis : Un grammage élevé (300,600g/m2), une texture très volumineuse, une couleur d’un vert vif : voilà un papier qu’on n’a presque pas envie d’encrer, mais qu’on a envie de modeler par du gaufrage. Donne la sensation d’une agglomération de matière brute très solide.Plus d’informations et fiche technique sur Chlorophyll

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RAG : réutiliser le coton des vêtements (Gmund / Allemagne)

  • Fabriqué à partir de quoi ? Rag est un papier composé de coton issu de l’industrie du vêtement, combiné à de la pâte de bois certifiée FSC.
  • Quel process de fabrication ? Y’a-t-il une réduction d'empreinte écologique ? Nous n’avons pas obtenu d’informations à ce sujet.
  • A-t-il des certifications ? FSC, Acid-free.
  • Prévu pour quel type d’impression / finitions ? Offset, jet d’encre, letterpress, sérigraphie, gaufrage, frappe à chaud, découpe.
  • Préconisation fin de vie : Recyclable, biodégradable, compostable

Notre avis : Un papier très élégant, blanc, pur, qui semble aéré et bouffant. Idéal pour le gaufrage et la letterpress !

Plus d’informations et fiche technique sur
Rag

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ZUBER RIEDER (France)

Zuber Rieder est un fabricant de papier situé près de Besançon, spécialisé dans haut de gamme, proposant notamment des créations de papier sur mesure.

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BAGASSE, un papier sans bois fabriqué en France

  • Fabriqué à partir de quoi ? Un papier entièrement fabriqué à partir de bagasse (résidu fibreux de la canne à sucre), de lin (utilisation de produits inadéquats pour l’industrie textile) et de chanvre.
  • Quel process de fabrication ? Y’a-t-il une réduction d'empreinte écologique ? La production et la transformation de bagasse consomme moins d’énergie que le bois. De plus, la culture du lin et du chanvre utilise très peu de pesticides et d’engrais, et ne nécessite pas d’irrigation.
  • A-t-il des certifications ? Etant donné qu’il n’y a pas de bois, il n’y a pas de certification FSC.
  • Prévu pour quel type d’impression / finitions ? Information non disponible.
  • Préconisation fin de vie : Recyclable.

Notre avis : C’est un papier à l’aspect de surface brut de machine, qui s'apparente à un papier légèrement cotonneux. Une texture qui s'accentue à mesure que le grammage augmente (photo 1 : bas grammage, photo 2 : fort grammage). Disponible en 2 teintes et en 90, 120, 170, 250, 350 grs/m2.

Plus d’informations sur Bagasse

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STONE PAPER : un papier en devenir ?

  • Fabriqué à partir de quoi ? Le papier de Pierre de chez Stone Paper est une combinaison de 80% de calcaire et de 20% d’une résine plastique non toxique. Les pierres utilisées sont des déchets minéraux et non des pierres issues d’une exploitation ad hoc.
  • Quel process de fabrication ? Y’a-t-il une réduction d'empreinte écologique ? Selon le fabricant, le processus de production n’utilise ni bois, ni eau, ni produits chimiques (chlore, acides). Sa production permettrait d’économiser 50 à 85 % d’émissions de CO2 par rapport à un papier traditionnel à base de bois. Peu absorbant, l’impression sur papier de pierre permet notamment une économie d’encre de 20 à 40%. Pour le moment, seule la Chine et l’Iran produisent du papier de pierre. Celui-ci est cependant acheminé en train (reste le moyen de transport qui émet le moins de CO2). Une start-up bretonne étudie la possibilité de produire du papier pierre localement, à partir des résidus de kaolin.
  • Le papier est-il blanchi ? Non, aucun additif n’est ajouté. Le blanc du papier est la couleur naturelle du calcaire.
  • A-t-il des certifications ? Le stone paper est certifié Cradle to Cradle (C2C Silver) : c’est-à-dire qu’en opposition au recyclage conventionnel, le processus de fabrication maintient la qualité des matières premières tout au long des multiples cycles de vie du produit. Aucune nouvelle matière n’a besoin d’être ajoutée et le désencrage ne consomme ni eau ni solvants. Cependant, comme le soulève très bien Kaizen dans cet article : “Aujourd’hui, pour qu’une feuille de pierre soit broyée et retransformée en sac, en emballage ou en une autre page, elle doit impérativement faire le voyage jusqu’en Asie, faute de technologie adaptée ailleurs.” Le déploiement d’une production locale française, ouvrirait donc la porte du recyclage. Prévu pour quel type d’impression / finitions ? Impression en offset, offset waterless, sérigraphies, flexographie, héliogravure, imprimantes numériques travaillant à basse température, traceurs jet d’encre UV. Finitions habituelles possibles : découpes, pliages, reliures, gaufrage… Pour un usage bureautique attention, le papier pierre n’est pas compatible avec les imprimantes laser ou copieurs (à cause de la chaleur du four).
  • Compatibilité encres végétales ? Pas d’informations.
  • Préconisation fin de vie : Jusque-là, tout était parfait. Mais c’est bien là LE point noir du papier pierre. C’est un nouveau produit et l’absence de volume significative ne permet pas actuellement de le recycler (pas de filière en France). Il est donc considéré comme un "plastique" et incinéré sans toutefois dégager de fumée toxique. Peut-être peut-on espérer que le déploiement d’une production locale française ouvre la voie du recyclage...

Notre avis : Une texture excessivement lisse et légère, plus transparente que la papier fibre. Un papier imperméable et difficile à déchirer, le tout sans pelliculage et vernis. Le papier pierre pourrait ainsi aisément remplacer nombre d’emballages plastifiés. Aussi, l’inaltérabilité de ce papier allonge considérablement la durée de vie du support imprimé. En revanche, impossible d’imprimer dessus avec ma jet d’encre Epson.

Foire aux questions de Mineral Print (fournisseur et imprimeur sur papier pierre en France)

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Le mot de la fin

Vous l'aurez compris, tous les papiers présentés ci-dessus ont du caractère : par leur volume souvent important, leur texture très présente, on imagine une utilisation de type packaging, carterie, papeterie, couverture, sur des édition limitées. De plus, les contraintes techniques d’impression étant fortes, ils ne sont pas tous à envisager pour un usage courant, mais plutôt pour des projets uniques et originaux. Leur utilisation ne passera pas inaperçue et ils feront partie intégrante du message visuel à véhiculer. Le choix de tels papiers signe un parti pris fort dans votre communication.